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Logement d’abord : une approche qui révolutionne les pratiques

Longs FormatsAlexandra LUTHEREAU25 avril 2024
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Posture émancipatrice et égalitaire, fin de la prédictibilité à la capacité d’habiter, droit à l’échec… La démarche d’accès direct au logement pour les personnes sans toit bouleverse le travail social, en particulier pour les professionnels de l'hébergement.

En juin 2023, le gouvernement a lancé le 2e plan quinquennal pour le Logement d’abord. Inspiré du concept américain Housing First, Le logement d’abord est présenté comme un changement de paradigme dans l’accès au logement des personnes sans abri. Le principe ? Permettre à ces publics d’accéder directement à un logement de droit commun, depuis la rue, sans passer par les étapes classiques - dites « en escalier » - de l’hébergement social.

Un accompagnement social renforcé, censément sans durée limitée, est mené pour accéder à ce logement, s’y installer et s’y maintenir. S’il existe différentes formes d’application de ce programme dans les territoires, les deux piliers du Logement d’abord (LDA) sont partout les mêmes : le logement et l’accompagnement social.

Rétablissement

Pour Cédric Sadin-Cesbron, éducateur spécialisé de formation, aujourd’hui responsable de formation supérieure et recherche pour Ocellia, l’aspect « révolutionnaire » du LDA tient à la fois de la philosophie du rétablissement, proche de l’autodétermination, de celle de la réduction des risques, de la prévention spécialisée ou encore du mouvement d'empowerment

« On ne parle plus de projet de vie personnalisé mais de rêve. Où le travailleur social est une ressource pour accompagner la personne à réfléchir à ce rêve, le faire évoluer, réaliser ses choix et les concrétiser ». « Le Logement d’abord vient avec les notions de rétablissement, d’émancipation, de liberté d'agir et de choix », résume de son côté Lionel Thibaud, chef du service Totem (1) à Grenoble, qui accompagne 25 personnes de la rue au logement.

Elsa Melon, directrice du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) 34, ex-cheffe de projet Logement d’abord de la métropole Montpellier Méditerranée. DR

Il s’agit ainsi de « prendre la personne comme elle est, là où elle en est, sans s’attacher à son passé », décrypte Elsa Melon, directrice du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) 34, ex-cheffe de projet Logement d’abord de la métropole Montpellier Méditerranée (2). En clair, cela signifie en finir avec la méthodologie classique du diagnostic, à la base du travail social tel qu’enseigné à l’école : rencontre de la personne, évaluation de sa situation, identification des difficultés rencontrées et mise en place d’un plan d’actions pour les faire disparaître. 

Expérimenter le changement positif 

Dans l’approche Logement d’abord, le moteur de l’accompagnement n’est pas la résolution des problèmes mais l’expérimentation du changement positif. « Ensemble, on regarde devant et on essaie de faire des petits pas de réussite, vers la direction choisie. Avec l'acquisition d’expériences positives et du plaisir, les personnes se dotent de nouvelles béquilles, qui vont conduire de façon mécanique à une baisse de leurs consommations de produits et des niveaux de souffrance, et vont permettre d’établir des bases plus solides d’évolution positive », détaille-t-elle.

Et de donner l’exemple d’une escapade d’une journée en bord de mer : prendre le bus pour y aller pourra faciliter la fois où il faudra reprendre les transports publics pour aller à la CAF par exemple.

Transfert de pouvoir

Cette posture émancipatrice et égalitaire demande aux travailleurs sociaux de « faire confiance aux personnes qu’ils accompagnent en leur mettant à disposition les choses, sans jugement, sans orientation, sans mainmise », explique Thomas Lemaître, chargé de mission au sein de l’association Habitat Gens du voyage 91. 

« Ce qui est difficile à accepter par les travailleurs sociaux, car ils considèrent cela comme une perte de pouvoir, que les personnes choisissent leurs modalités d’accompagnement. Les travailleurs sociaux n’ont pas été formés de cette façon. Ils ont une expertise sur l’analyse, le comportement des personnes, les parcours, les modalités d’action à mener. Mais si cette expertise ne sert plus à rien, ils perdent leur pouvoir et leur utilité sociale », décrypte-t-il.

La prédictibilité écartée 

Thomas Lemaître, chargé de mission au sein de l’association Habitat Gens du voyage 91. DR

Ce phénomène se caractérise particulièrement avec l’abandon de la notion de prédictibilité de la capacité à habiter un logement, largement utilisée dans le secteur de l'hébergement, et au cœur du processus « en escaliers ». « Si le logement est un droit, il ne peut plus être conditionné au jugement d’un travailleur social qui va considérer que vous êtes prêt ou non au logement », explique Thomas Lemaître (3). 

Dans son rapport d’activité 2023, l’association Totem dénombre 38 personnes accompagnées, dont 30 en logement et 9 ayant accédé à un premier logement. Sur les 30 en logement, 80 % n’ont jamais rencontré de problèmes de voisinage, 70 % ont habité leur logement sans besoin d’aide au ménage, plus de la moitié a payé régulièrement leur loyer, seuls neuf ont signé un plan d'apurement pour résorber une dette locative et trois ont été en procédure d'expulsion. 

Des représentations erronées